posté le 18-04-2013 à 02:16:51
Boston
[En hommage aux victimes de Boston, et à toutes les victimes d'attentats dans le monde... ]
« — Je viens de perdre la vue, guide-moi s'il te plait. »
Elle était terrifiée. Son sauveur qui lui avait garroté les deux jambes
après l'explosion et qui la portait en lieu sûr venait de subir de
plein fouet des éclats de schnarpel d'une nouvelle bombe. Il avait fait
bouclier de son corps pour la protéger tout en continuant à la porter
dans ses bras et marchait toujours dans la même direction dans la rue.
Ses oreilles étaient assourdies par les cris, ses yeux alternaient
entre la vue atroce de ses jambes en charpies à quelques centimètres en
dessous de ses genoux et le visage impassible de l'homme qui la portait
vers un endroit sûr. Sa bouche était sèche, elle suait à grosse goutte
et vacillait à cause de l'endorphine.
Elle se replaça dans les
bras de l'inconnu en se tenant à son cou et senti que l'arrière du crâne
de ce dernier était planté par un bout de métal. Elle comprit alors le
sens de ses paroles. Mais elle n'en crut pas la portée. Comment
pouvait-il encore la porter, ni même simplement avancer avec un bout de
métal dans le crâne ?
Il avait à peine vacillé lors de
l'explosion, se contentant de la plaquer contre lui pour qu'elle ne
fusse pas blessée à nouveau. Et là encore il avançait. Sans rien dire.
Avec une confiance infinie en ses pas et en ses yeux à elle pour le
guider lui.
Elle déglutit devant cette réalité le guida vers une
escadre de secouristes qui allaient vers eux. Ils les guidèrent vers
une ambulance où ils s'assirent tous les deux sur la même banquette. Les
ambulanciers repartir chercher d'autres blessés les laissant seuls
après s'être assuré que ses garrots tiendraient quelques minutes
supplémentaires.
Elle tourna la tête vers lui. Il était accoudé
sur ses genoux et elle vit alors le grand nombre de bout de fer planté
dans son dos. Il n'y en avait qu'un dans sa tête. Vu de dos, il devrait
être mort. Il ne bougeait pas ceci dit.
« — Ne meurs pas !
— Je suis vivant...
— S'il te plait, ne meurs pas...
— J'ai mal... Je ne peux plus bouger...
— Ne m'abandonne pas !
— Je pense à toi. Tu es la dernière personne que j'ai vue.
— N'abandonne pas !
— Jamais... »
Et le temps redevint rapide. La prise en charge par les médecins, le
transport à l'hôpital. L'effondrement de l'inconnu lorsqu'elle fût
emmenée au bloc. Son réveil, sa famille. Deux jours de récupération
post-opératoire. Elle avait bien perdu ses jambes. On lui proposerait
des prothèses. Elle était sans nouvelles de lui.
Elle avait
insisté et l'infirmière avait cédé. Il était vivant mais dans un coma
artificiel. Il avait passé quatre jours en bloc opératoire et on lui
avait enlevé plusieurs kilogrammes de métal. L'opération s'était bien
passée mais il était dans le coma.
Sa mère avait fini par
accepter de la pousser jusqu'à la chambre de l'homme. Il dormait sur le
ventre, recouvert de bandages. Ses effets personnels étaient sur la
table de chevet. Un porte-monnaie et quelques pièces. Une carte
d'identité. Alaric. Deux ans de plus qu'elle. Pas d'autres infos sur
lui. Pas de photo de femme ni d'enfant.
L'infirmière le lui
annonça quatre jours plus tard. Les médecins étaient à son chevet, il
n'avait pas retrouvé la vue. Et puis elle se précipita. Elle dirigea son
fauteuil vers l'ascenseur et deux étages plus haut et se rua dans la
chambre.
« — Pas de visite, s'il vous plait ! » Le médecin
l'auscultait. « — Laissez-la, elle a besoin d'être là. » Il savait
qu'elle était là, comme s'il l'attendait. Le soigneur opina mais lui fit
signe de se taire, elle acquiesça.
Il avait tout passé en revu.
Ses seules séquelles seraient ses yeux. La lésion était trop lourde pour
envisager une réparation sans risque. Ils l'aideraient, mais elle
sortit de son silence et raconta ce qu'il s'était passé : les garrots,
le transport, puis la suite, l'autre explosion, et le transport sans
faille jusqu'à l'ambulance, sa volonté de rester éveillé jusqu'à ce
qu'elle passe au bloc d'urgence.
Le médecin était bluffé mais
semblait déjà convaincu. Il appela une infirmière qui arriva avec un
journal. Toute l'histoire était là. Elle lut à voix haute, pour lui, le
récit d'un autre qui les avait vus et même photographié. D'autres photos
prisent par d'autres, dans d'autres angles et même sa stature de veille
dans l'ambulance par un journaliste.
Il était connu par tous
pour son geste, mais anonyme car ils furent parmi les premiers à quitter
le lieu des atrocités. Il ne broncha pas mais demanda au médecin s'il
avait terminé. Ce dernier lui serra la main « — Quoi que vous en
pensiez, je suis heureux de savoir que quelqu'un comme vous soit encore en
vie. » Renfrogné, il acquiesça quand même et le médecin sorti.
« — Je suis désolée...
— Non. Personne ne peut être désolé pour ça.
— ... Tu as raison.
— ...
— Que vas-tu faire ?
— Plus rien. Je ne peux plus atteindre mon but.
— Je suis désolée...
— Non... Tu m'as sauvé la vie.
— Pourquoi ?
— J'allais tuer mon père. La seule famille qu'il me restait. Il m'avait fait beaucoup de mal et j'étais sur le chemin. Merci.
—
Non, toi merci ! Sans toi j'étais morte ! Sans tes garrots je n'aurais
plus de sang ! Tu t'es sacrifié, tes yeux ! Je veux être auprès de toi !
Alaric ! »
Il resta muet. Sa déclaration venait du cœur et il
était touché de plein fouet. Elle lui prit la main, il ne bougea pas. Et
le temps s'égraina. Assit sur son lit les bras pendants de chaque côté,
la main gauche dans les siennes. Et puis, une petite larme perla de son
œil. Impassible, il pleurait devant son avenir et la proposition de la
femme qu'il avait sauvée.
Ses sanglots s'accentuèrent, le poids
de la décision qu'il prenait bousculait profondément sa vie. Il était
désormais aveugle... « — J'ai besoin d'yeux... » Elle le tira vers elle
et le consola dans ses bras. « — Je m'appelle Loona... »
Commentaires
Bonjour,
Ce texte est poignant. je n'ai pas d'autres mots à dire.